À un rythme biennal, le marionNEttes – festival international démontre que les objets peuvent être artistiquement investis et transformés en une intarissable source de poésie. Vecteurs d’émotions, ils se font tremplin. En effet, les objets, une fois mis en scène, offrent l’opportunité de décloisonner le rapport que chacun a au monde et qui est habituellement régi par les interactions corporelles. Donner vie aux objets, c’est se projeter hors de soi et, ainsi, briser les frontières du corps et de l’imaginaire. Après une dernière édition en format réduit, cette année annonce le retour à une programmation foisonnante : enfants et adultes pourront ainsi assister avec bonheur aux créations d’une vingtaine de compagnies suisses et internationales. Celles-ci se produiront dans les salles emblématiques de la région et donneront l’occasion au public de concevoir un itinéraire à travers les institutions qui façonnent le paysage culturel du canton de Neuchâtel, dix jours durant.

Comme pour chaque édition, l’État de Neuchâtel est heureux de soutenir ce festival mené tambour battant par le Théâtre de la Poudrière qui, depuis 1985, fait résonner l’art de la marionnette dans les salles du canton, instillant du rêve dans le cœur du public.

Monsieur Alain Ribaux

Conseiller d’État
Chef du département de l’économie,
de la sécurité et de la culture

 

 

Vingt rendez-vous, ça en crée des souvenirs !

 

Enfant, j’en ai reçu quelques-unes, à gaine, en cadeau d’anniversaire ou emballées sous le sapin de Noël. Adulte, j’ai, je l’avoue, continué d’assimiler les marionnettes à des jeux d’enfants, au castelet de Guignol bastonnant le gendarme, provoquant l’hilarité des petits.

Des années plus tard, ma première immersion dans la Semaine internationale de la marionnette en pays neuchâtelois a fait voler les clichés en éclats. Du sel et du sucre, des figurines en plastique, des bouts de bois ou de chiffon… Dans cette vitrine de l’art marionnettique virevoltent masques et objets, fils et gaines, musiques et sons, images et matières, jeux d’ombre et de lumière. La poésie, la satire, la tragédie, le rire. L’adulte y est roi, l’enfant nullement déchu de sa couronne pour autant.

Au fil des éditions de ce festival rebaptisé plus simplement marionNEttes – festival international, des souvenirs forts ont creusé leur sillon dans la mémoire des spectateurs. La nôtre est hantée par les créatures de Neville Tranter, dont les yeux scintillants comme des pierres précieuses vous scrutent jusqu’à la moelle ; celles, ricanantes, de Patrick Sims qui, dans leurs cliquetis d’osselets caustiques, charrient mille références et provoquent l’imaginaire. Les marionnettes ont une âme, c’est sûr.

 

La mine renfrognée d’Agnès Limbos, Belge déjantée et pince-sans-rire, capable de dégoupiller des grenades acides avec la lucidité des pessimistes, s’est, elle aussi, incrustée dans nos plaisirs automnaux. Inoubliables encore, les chutes de blocs de pierre orchestrées avec fracas par Pierre Meunier, le tonitruant mobile sonore des frères Décosterd, virtuoses de la machine interactive. Inoubliable, l’envol de Mélissa Von Vépy et de sa chevelure rousse dans les cintres du Passage, marionnette humaine défiant la pesanteur au cours d’une lutte sans merci avec les cordes qui tout à la fois l’entravent et l’emportent…

Le nom des artistes n’est pas toujours au rendez-vous des souvenirs, mais l’empreinte qu’ils ont laissée sommeille là, quelque part dans les limbes de la mémoire. Une fois les brumes du passé dissipées, réapparaissent des points lumineux dansant dans l’obscurité, un bouquet de crevettes personnifiant notre condition humaine, un ventre aussi expressif qu’un visage, capable d’aspirer ses bourrelets, telle une bouche gloutonne…

Tranter, Limbos, Sims, Meunier… Avec d’autres, Manarf, les Ateliers du spectacle ou Philippe Foulquié, figure tutélaire venue de Marseille, ils ont contribué à tisser la grande toile internationale du festival avec les fils de la fidélité et de l’amitié. Certains n’ont pas rechigné à mettre la main à la pâte en coulisses… Il se dit que le grand Neville Tranter, l’un des phares qui ont mis le festival en lumière, prépare les légumes avec maestria.

 

Mais en coulisses s’affairent aussi, et surtout, Corinne Grandjean, son bras droit Noëlle Bron et François Chédel, qui vient de se greffer sur le duo. S’affairent Gaillole, Clairon, Ambroise, Idine, Tito, Emile, Anne, Boubou…, la constellation de copains gravitant autour d’Yves-Vano Baudin et de Corinne depuis les premiers pas du Théâtre de la Poudrière. L’équipe de la grande Poudre, incarnation d’un accueil humain et technique loué loin à la ronde.

Pour porter le festival naissant, les bras s’activent partout. En cuisine, sur les routes du canton ou, encore, sur les plateaux, solidement épaulés par les premiers théâtres partenaires du festival– le TPR et le CCN. Alain Recoing, pape de la marionnette à gaine, se présente avec une fiche technique digne de la Scala de Milan ? L’équipe relève le défi. Un gigantesque tas de sable de 25 tonnes s’apprête à engloutir le sol du Temple allemand ? L’équipe étaye le plancher menacé de s’écrouler.

Combustible d’un festival qui trace un trait d’union entre le Haut et le Bas, cette belle énergie collective a traversé plus de trois décennies. Le festival a évolué. Entraîné dans le fort courant de la professionnalisation, il s’est appuyé sur une succession de directeurs technique, Gilles Perrenoud, Cédric Pipoz, Harold Weber, Matthias Mermod. Mais, aujourd’hui encore, la bande d’amis retrousse ses manches en chœur.

 

En coulisses fleurit l’anecdote. On se rappelle de ce camion d’une troupe russe bloqué à la douane de Bâle. C’est dimanche, il est interdit de circuler. Paniquée, l’équipe de la Poudre fond sur le téléphone pour appeler le commandant de la police cantonale neuchâteloise en personne. Audace payante. Le gros coup de stress s’envole grâce à l’obtention d’un sauf-conduit ! Russes encore, ces grandes compagnies sous surveillance, contraintes d’emmener un commissaire politique dans leurs nombreux bagages. Envoyé, sciemment, dans les bras de Morphée avec la complicité de la dive bouteille, il avait laissé le champ libre aux libations des marionnettistes et de leurs hôtes. En coulisses, on évoque, en rigolant, la frayeur de ces artistes italiens – ou étaient-ils marseillais ? – programmés à La Chaux-de-Fonds, à qui la Poudre avait fait croire que les ours et les loups rôdaient sur le col de la Vue des Alpes…

En coulisses, flottent des effluves d’absinthe et de fondues mémorables. Des arômes de convivialité qui se répandent jusque dans le foyer de la Poudrière, un antre où l’on descend vite un verre de blanc entre deux spectacles, où les aficionados du festival s’attardent. Un lieu où il est difficile de ne pas croiser la haute silhouette d’Hartmut Topf, le fidèle ami allemand qui a jeté une passerelle entre le festival et les compagnies des pays de l’Est. Les soirs de nostalgie, on y cherche des yeux la présence, truculente, toujours chaleureuse, de Vano, trop tôt disparu en 2013… Et puis le regard rencontre les visages de la nouvelle génération, les enfants de la grande Poudre qui maintenant s’impliquent, une sève neuve qui, peu à peu, irrigue la manifestation.

Dominique Bosshard